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Les épidémies n’ont pas épargné nos ancêtres au Pays Basque comme en Béarn et ce depuis les temps les plus anciens, alors qu’ils étaient déjà soumis à des conditions difficiles. L’amélioration encore balbutiante des conditions d’hygiène, ne parvient pas à enrayer assez tôt l’arrivée des maladies et le nombre de morts est effrayant.

Le choléra frappe à plusieurs reprises

En 1854 le choléra frappe à nouveau les Basses-Pyrénées de l’époque. Alors même que le souvenir de 1832 et de la première épidémie s’était peu à peu estompé, la menace était à nouveau bien réelle. Aussi violente que brutale, la maladie fait des ravages, en ville comme à la campagne. La presse évoque une « calamité endémique surgissant de toute part et frappant aussi bien les populations du littoral maritime que celles de l’intérieur du pays ou de la montagne et les laissant sans défense ». Le désespoir et la tristesse s’insinuent à nouveau dans toutes les maisons même si, les bilans postérieurs démontrent que certaines communes furent plus épargnées que d’autres.
Si tout au long du XIXe siècle, le choléra frappe à trois reprises dans notre région, le pic de 1855 n’est malgré tout plus jamais atteint et sa résurgence en 1885, 1891 et 1893 atteint surtout l’Espagne.

Une maladie infectieuse

Le choléra est une infection qui présente des symptômes semblables à la gastro-entérite et qui mène à une déshydratation brutale et très grave. La contamination se fait par l’ingestion d’aliments ou boissons contaminés.
La maladie mal connue à l’époque, apparait pour la première fois en Europe au début du XIXe siècle. Elle est difficilement jugulée et l’on ne dispose pas des moyens appropriés pour soigner les malades correctement afin d’enrayer la mortalité relative à cette infection majeure. Si on sait maintenant que la mise en place d’une hydratation est primordiale dans le soin apporté au patient et que l’hygiène rigoureuse prévient la maladie, ce n’était pas le cas dans cette première moitié du XIXe siècle. Il faudra en effet attendre jusqu’en 1883, que les travaux de Robert Koch isolent le bacille du choléra et qu’il soit démontré que l’eau contaminée propageait la maladie pour envisager des soins efficaces.

Des soins balbutiants

En 1855, le journal Le Mercure d’Orthez et des Basses-Pyrénées explique dans ses colonnes que le Docteur Schlésinger de passage à Bayonne, bénéficie d’une grande expérience sur la maladie qu’il étudie depuis de longues années. Diligenté par le gouvernement français, il s’est rendu dans les lieux où des foyers d’infection sévissaient en Europe pouvant ainsi examiner les malades. Les lecteurs attentifs, en quête de conseils pour des soins avisés étaient sans doute sensibles aux efforts du journal dans la publication des moyens thérapeutiques que le médecin leur fourni. Les ont-ils appliqués ? En voici un extrait :

Traitement contre le choléra asiatique. Journal Le Mercure d'Orthez et des Basses-Pyrénées, 1855. Gallica
Journal le Mercure d’Orthez et des Basses-Pyrénées
29 septembre 1855 Gallica BNF

Des questionnements naissants sur la salubrité

S’il y a une conséquence notable à retenir de cet épisode tragique c’est la prise de conscience que l’hygiène était un enjeu d’importance. Les autorités alertées par les médecins commençaient à réfléchir sur le fait que la salubrité était une vraie question. Des mesures prophylactiques furent donc prises pour alerter la population et l’encourager à prendre de bonnes habitudes en matière d’hygiène.

Des exemplaires du Recueil des actes administratifs, énumérant des conseils très concrets furent envoyés dans les sous-préfectures dès janvier 1832. A charge pour elles d’en répercuter les recommandations auprès des autorités municipales. Les conditions sanitaires se devaient évoluer.

Il y est ainsi préconisé qu’en ville « les particuliers cessent de faire dégorger leurs latrines, ordinairement établies dans les venelles » et que dans les campagnes l’on procède à un « enlèvement et le transport loin des habitations des boues et immondices ». On incite aussi à ne pas laisser trop longtemps les tas de fumier dans les cours et basses-cours à proximité des habitations pour ne pas souiller les eaux des ruisseaux et cours d’eau mais aussi celles des puits.

Une prise de conscience balbutiante de l’importance de l’hygiène

La persistance des habitudes, la lente diffusion des informations, le peu d’argent dévolu à la construction de systèmes d’égouts efficaces, tout cela concourrait à la propagation de la maladie. La virulence de l’épidémie de 1855, eut quand même pour conséquence de faire prendre conscience que l’on pouvait lutter de manière un peu plus efficace. Les progrès en matière de santé et de salubrité devaient se faire sentir de manière tangible à la fin du XIXe siècle : la troisième et dernière attaque du choléra entre 1891 et 1893 fut nettement moins grave en Pays Basque nord même si elle devait encore faire de trop nombreuses victimes en Espagne.

Le choléra au Pays Basque, AD 64
Extrait de l’annuaire administratif et judiciaire et industriel du département des Basses-Pyrénées, 1832
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, BIB R 137

Une propagation par la mer

Les ports sont étroitement surveillés dès 1832 car les navires sont le vecteur parfait des épidémies, les marins transportant avec eux les infections récoltées au gré de leurs escales en Espagne, Angleterre, Ecosse ou Amériques. Les bateaux suspectés sont mis en quarantaine au lazaret de Bayonne ou à Socoa. La Bidassoa, lieu de passage prisé par les contrebandiers voit sa surveillance renforcée par le déploiement de l’armée d’Hendaye à Béhobie dans l’année 1834. On surveille toute entrée, les commissions sanitaires sont chargées de signaler tout cas suspect au sein de leur canton. Les municipalités comme Bayonne engagent des moyens financiers importants pour lutter contre la maladie.

Cadastre d'Anglet, le lazaret de Bayonne, AD 64
Cadastre d’Anglet, le lazaret de Bayonne, section C dite de Pignadats
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques

Le lazaret de Bayonne a été construit en 1822 suite à la décision prise par la ville face à l’accueil de bateaux qui avait transporté des marins atteints de maladies comme le typhus dans les années précédentes.

Le Pays Basque très touché en 1855

On dispose de peu de statistiques au sein des archives des Pyrénées-Atlantiques et encore moins de listes nominatives des personnes touchées par l’épidémie. On peut cependant constater une surmortalité dans certaines communes en consultant les décès des années , 1832-1833,1855, 1885-1893 dans l’état civil de certaines communes. Difficile pourtant de faire la part avec assurance entre les morts du choléra et ceux pour d’autres causes. Lors de la première épidémie on sait qu’à Pampelune 40% de la population est touchée par le choléra.
En 1855, le choléra frappe les basques bien plus durement. A Bayonne explique le Mémorial des Pyrénées, ce sont 546 cas dont 288 décès, Ciboure 252 cas et 139 décès, à Saint-Jean-de-Luz on déplore 139 victimes sur 217 cas, Sare, 200 cas et 22 décès, Ascain 146 cas et 43 décès, Guiche 168 cas et 87 décès, Bidache 205 cas et 165 décès. Mais la liste n’est pas exhaustive et tous les cantons sont atteints avec plus ou moins de force. En compulsant les relevés de l’état civil de Ciboure, on constate 183 décès en 1855, à Ascain 57 décès (il n’y en a que 18 l’année suivante et la moyenne des cinq années qui suivirent est de 21 morts par an). Toutefois certaines communes sont peu touchées comme Cambo et Biarritz.

Le Béarn un peu plus épargné

Le 6 novembre 1855, le Mémorial des Pyrénées tient à démontrer que Pau fut épargnée et n’a connu « qu’un très petit nombre de cas isolés », la ville jouissant « à juste titre d’une réputation de salubrité exceptionnelle ». Néanmoins « le choléra a fait de cruels ravages à Orthez, à Nay, à Gan et à Jurançon ».

Des phénomènes étranges durant l’épidémie

En décembre 1855, le docteur Cazenave adresse un rapport au préfet relatif au choléra qui a sévit à l’asile des aliénés de Pau tels que ce type d’établissements existaient alors. Il y est relaté que l’épidémie s’y est propagée dès le 5 septembre et 43 ont été atteints dont 30 sont morts. La population à ce moment là était de 230 aliénés et si le personnel de l’établissement ne fut pas touché, l’épisode dura un mois. La presse de l’époque relate que les « sections des agités ont été presque exclusivement atteintes » et souligne assez étrangement que « le fait le plus saillant signalé par l’observation a été le retour complet et instantané de la raison chez tous les malades atteints du choléra. On aurait dit qu’un mal chassait l’autre, car dès que le choléra reprenait, la folie reprenait son empire ».
Autre constatation pour le moins curieuse et dont la lecture aujourd’hui laisse relativement perplexe : « On a aussi remarqué la disparition complète des oiseaux pendant l’épidémie. En temps ordinaire des myriades de moineaux s’abattent sur les préaux de l’asile ; pendant tout le temps qu’à sévi le choléra, il ne s’en est pas montré un seul et ils n’ont reparu que quand il a cessé ».


  • Manex Goyhenetche « Histoire générale du Pays Basque. Le XIXe siècle : 1804-1914« , Elkar, 2005
  • Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, sous-préfectures, 2Z49
  • Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, état civil
  • Papy Michel, Le choléra dans le Pays Basque en 1834, Amis des Archives, 1982, CG64, AD, BIB P 57-1983
  • H Jeanpierre, A Bayonne il y a cent ans (1855) : l’épidémie de choléra, BSSLAB, 1956, n° 76
  • Le Mémorial des Pyrénées, 1855, Gallica
  • Le Mercure d’Orthez et des Basses-Pyrénées, 1855, Gallica