Le principe du remplacement militaire évolue au XIXe siècle
Le remplacement militaire est autorisé dès le 17 ventôse an VIII (8 mars 1800). L’arrêté qui l’instituait se devait d’atténuer les effets jugés injustes de la loi Jourdan-Delbrel du 5 septembre 1798 posant les bases du service militaire obligatoire pour les hommes âgés de 20 à 25 ans. Les campagnes napoléoniennes absorbaient en effet une grande partie des forces vives du pays et nécessitaient un renouvellement constant de jeunes soldats aptes au combat.
Face à cette obligation impopulaire et mal vécue, le gouvernement lui-même s’inquiétait du fait que ceux qu’il jugeait utiles soient pénalisés par un tirage au sort qui les envoyaient au service pendant plusieurs années (5, 6 voire 7 ans selon les périodes). « En sauvant l’instruction et les lumières, le remplacement fait verser l’or dans le sein des familles pauvres » s’exclament les députés lors de la discussion de la loi [1].
Le 18 thermidor an X (6 août 1802) un nouvel arrêté généralise et facilite le principe du remplacement militaire en permettant aux jeunes gens de s’arranger entre eux. Le décret du 26 août 1805 (8 fructidor an XIII) instaure les règles définitives et se pose comme le texte fondamental d’un système qui opposait tout à la fois partisans et détracteurs du système. Les conditions du remplacement évoluent tout au long du XIXe siècle avant d’être rejeté en 1872 puis définitivement supprimé en 1905.
Comment fonctionne le remplacement militaire ?
Le tirage au sort avait lieu devant la commission de recrutement. Ceux qui tiraient un « mauvais numéro » et qui devaient satisfaire à l’obligation de service pouvaient alors recourir à un remplaçant. Le remplaçant devait répondre à certaines conditions :
- mesurer 1,65 mètres
- avoir tiré un « bon » numéro, être libre libre de tout service, exempté et n’être ni conscrit, ni réquisitionnable
- avoir entre 18 et 40 ans
- être né et domicilié dans le département
- ne pas être chargé de famille (marié ou veuf avec enfants)
Le conscrit devait trouver un volontaire et présenter ce remplaçant au Conseil de recrutement.
Si le Conseil validait ce remplacement, le remplacé versait une somme de 100 francs pour pourvoir à l’habillement et à l’équipement du volontaire.
Le cas particulier des juifs
Décrété en 1808, les juifs n’ont pas le droit de bénéficier du système de remplacement militaire. Malgré tout le décret n’est pas appliqué dans les Landes ni en Gironde. Une modification apportée en 1812 va permettre aux juifs de ses faire remplacer et l’autorisation sera étendue aux Basses-Pyrénées.
Les documents contractuels du remplacement militaire
L’acte de remplacement était établi à la Préfecture ou sous-préfecture et soumis à l’enregistrement.
Vous trouverez ces actes dans les actes civils publics classés en série Q.
Par ailleurs, un contrat devant notaire était établi pour fixer les modalités du remplacement entre les familles. Le remplacé versait une somme d’argent au père du volontaire. Ces actes sont dans les minutes notariales, donc dans la sous-série III E aux Archives départementales.
Des registres de remplacement sont également tenus par l’administration. Tous les actes de remplacement pour le service militaire y figurent. Ils sont conservés en série R aux Archives départementales.
A Pau, un seul registre conservé en 1 R 1 : le registre des actes de remplacement des conscrits de 1806. La série R est en effet assez lacunaire en raison de l’incendie de 1908 qui toucha la Préfecture de Pau et le bâtiment des archives qui y était annexé.
Histoires vécues de remplacés
Vous rencontrerez de nombreux actes de remplacement militaire dans les minutes notariales. Pour les retrouver aidez-vous des répertoires des notaires ou des tables de l’enregistrement.
Ces minutes sont particulièrement intéressantes dans les débuts de la conscription car les archives militaires de cette époque font bien souvent défaut aux AD 64. Elles donnent beaucoup de détails sur les jeunes gens concernés mais aussi sur leur entourage familial, leur niveau de vie et leur aisance financière. Le prix à payer par le remplacé était variable selon l’époque (les périodes troublées où l’engagement était plus risqué nécessitant un investissement plus conséquent), l’arme et le corps militaire.
Le système revêtait donc un caractère injuste : pouvait se faire remplacer celui qui en avait les moyens financiers.
Un exemple parlant : Anton Goïtarenx
14 germinal an VIII : le sort d’Anton est fixé, la décision est prise. Son père l’accompagne et ils sont à présent devant le notaire à Saint-Palais. Ils ont fait le chemin depuis Uhart, ce n’était pas très loin. Jean Toulet est également présent, ce « citoyen » comme on dit maintenant vient de Sames. Il est seul. Le notaire Diriart se prépare à coucher sur papier les termes du contrat qu’ils s’apprêtent à conclure. Toulet a un fils, Jean, un fils aîné, et même si l’on est en 1800 et que le Code civil a mis fin aux lois coutumières d’Ancien Régime, il n’en reste pas moins qu’un fils aîné compte encore pour assurer la pérennité du domaine familial. Ce fils n’a pas échappé au tirage au sort et il est engagé dans le premier bataillon des chasseurs basques en tant que grenadier, bataillon actuellement en garnison à Bordeaux.
Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, service des Archives, minutes du notaire Diriart, III E 1244
En ces temps troublés par les guerres, le père Toulet s’inquiète de voir son fils prendre le risque de ne pas revenir. Il est prêt à payer pour le faire remplacer. Il en a la possibilité depuis un mois.
Le plus difficile a été de trouver la bonne personne. Il fallait qu’elle ait entre 18 et 40 ans (la marge était grande) mais le critère de la taille était plus exigeant et a posé plus de problèmes : 1.65 mètres. Ensuite, il fallait encore s’entendre sur le prix et … son paiement.
Antoine Goïtarenx convenait parfaitement. Anton comme on le surnommait, avait 37 ans, c’était juste … mais mesurait 1 mètre et 654 millimètres, très juste là aussi ! Toulet insista pour que le notaire consigne avec précision cette information. Ce dernier fit davantage, il détailla soigneusement le signalement physique d’Anton : « cheveux et sourcils châtains clairs, yeux bleuâtres, nez aquilin, bouche grande, menton fendu, front avancé, visage ovale et coloré » telle était son apparence, à défaut de photo, c’était un bon moyen pour l’armée de distinguer un soldat parmi d’autres.
L’argent ! 400 francs en « numéraire » ! En 1800 et en Pays Basque c’était une somme. Mais elle ne serait pas payée immédiatement. Jean Toulet devait verser le capital dans sa totalité seulement au « retour de service avec le congé légal » d’Antoine. A la charge pour ce dernier « de servir le gouvernement dans les armes auxquelles il le destinera, avec zèle, honneur et assiduité aux Drapeaux de la République ».
En attendant ce moment, Jean Toulet devait verser les intérêts sur ce capital de 400 francs et ce durant toute la durée légale du service en le garantissant par l’hypothèque de ses biens.
Au moins, le père d’Anton, aurait un petit revenu, du moins son fils l’espérait.
Pour aller plus loin
- SCHNAPPER Bernard. Le remplacement militaire en France, Paris, SEVPEN, 1968.
- BERGÈS Louis. Résister à la conscription 1798-1814. Le cas des départements aquitains, Paris, CTHS, 2002.
- PIGEARD Alain. La conscription au temps de Napoléon (1798-1814), Paris, Giovanangeli, 2003.
- WAQUET Jean. Le remplacement militaire au XIXe siècle. In: Bibliothèque de l’école des chartes. 1968.
Ping : Ancêtre militaire : quels documents chercher aux archives de Pau et Bayonne ? - Gen&O