• Auteur/autrice de la publication :
  • Temps de lecture :12 min de lecture

Une vie courte, très courte même : 25 ans, à peine mais une vie très pleine. Il fait partie de ceux qui pour une raison ou une autre ont quitté leur petit village bas-navarrais pour des moments plus aventureux qu’on n’aurait pu l’imaginer.

Une vie, un métier, une famille

Arbre généalogique de la famille Garat au Pays Basque
Arbre généalogique de Jean Garat

Jean Garat naît à Arberats-Sillègue le 1er décembre 1890 comme en témoigne son acte de naissance, fils de Pierre et de Marie Castera. A sa naissance, il a déjà trois frères et sœurs, trois autres naitront après lui.

Fils, petit-fils, arrière-petit-fils de métayers, Jean reste dans la lignée professionnelle de sa famille : il est cultivateur. Sans propriété à exploiter, il trouve un emploi dans les fermes locales, peu éloignées d’Arbérats-Sillègue son lieu de naissance en 1890. Il n’est pas allé beaucoup à l’école mais a vite trouvé du travail, comme ses six frères et sœurs. En 1911, ses parents, ont quitté la métairie Castaing d’Arbérats-Sillègue pour s’installer à Aïcirits et s’occuper de la ferme Garatia, qu’ils habitent avec deux de leurs cinq enfants : Gratienne, seule fille, couturière et Bernard, le dernier, domestique de ferme non loin de là.

Service militaire

Pendant ce temps, Jean a quitté Arbérats pour accomplir son service militaire. Né en 1890, il est recensé dans la classe de 1910. Après avoir passé toutes les étapes du recrutement entre 1910 et 1911, il est affecté en octobre 1911 au 1er régiment de zouaves. Soldat de seconde classe, il arrive à Alger le 16 octobre 1911. C’est un changement radical pour lui. Le bateau, la mer, la vie en caserne avec des inconnus : son petit univers est soudainement bousculé. Il va passer deux années dans ce qu’on appelait alors l’AOF, l’Afrique Occidentale Française. Il reste d’abord 10 mois en Algérie, puis le 24 août 1912 c’est le départ pour une expédition au Maroc. Le pays est sous protectorat français depuis la signature en mars 1912 du Traité de Fès. Certaines régions restent encore instables et opposent une résistance à l’armée française. Des alliances se forment avec les caïds locaux mais elles restent fragiles et nécessitent une présence permanente des forces française. Cette dernière établit une base à Mogador. Le caïd Anflous, jusqu’alors du côté des français a brutalement fait volte face et contraint le commandant Massoutier et 400 zouaves à s’enfermer, assiégés, dans le fort de Dar-el-Kadi. Délivrés par Franchet D’Esperey et Brulard, ils sont ramenés à Mogador à Noël. En janvier 1913, une offensive est décidée contre Anflous : sa kasbah doit être mise à terre. Jean Garat participe à l’expédition qui sera victorieuse. Ses objectifs atteints, Franchet d’Esperey rentre avec sa division presque intacte.

Dar el Cadi, retour de troupes, 1913

Dar el Cadi, retour de la troupe. Opérations de décembre 1912 à février 1913 dans le cercle Haha-Chiadma : retour de Dar-el-Kadi de la colonne Brulard, groupe de blessés – Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN

Retour de troupes après Dar-el-Cadi, 1913

Retour de la troupe après Dar-el-Cadi. Opérations de décembre 1912 à février 1913 dans le cercle Haha-Chiadma : retour de Dar-el-Kadi de la colonne Brulard, en tête les zouaves du bataillon Decherf – Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN

Revenu chez lui, dans son Pays Basque natal en octobre 1913, ce ne sont que quelques mois de répit qui vont s’offrir à lui : juste le temps de raconter ses aventures africaines, de prendre un peu de repos avant de se remettre au travail pour aider ses parents. Les sombres pressentiments d’une guerre opposant France et Allemagne, se concrétisent et prennent forme avec le décret de mobilisation générale du 1er août 1914. Jean rassemble à nouveau ses affaires : 2 jours plus tard, il est en caserne. Après les pantalons bouffants des zouaves, il revêt ceux, garance, du 34e régiment d’infanterie puis quitte Mont-de-Marsan pour la Meuse. Ses deux frères aînés partent également : avec la guerre et trois fils au combat, la famille plonge dans l’inquiétude permanente.
Le 4 février 1915, un nouveau remaniement des troupes l’envoie au 147e régiment d’infanterie. La Meuse et le front, les réseaux de fil de fer déroulés par l’ennemi, difficilement franchissables, sinon à quel prix, la pluie, le froid, la neige fondue et la boue : c’est l’ultime étape pour Jean. Il passe tout le mois d’avril dans le secteur de Verdun, alternant quelques périodes de repos et le combat sur la ligne du front entre Manheulles, Pintherville et Pareid. Le 147e accuse des pertes importantes, l’effectif des bataillons est sévèrement touché, le moral au plus bas. Du 19 au 28 avril, le régiment cantonne à Ronvaux puis reçoit un ordre « inattendu » : c’est le départ en direction des Eparges, un peu plus au sud. Le lieu est connu. Le village des Eparges donne son nom à une crête qui domine toute la plaine de la Woëvre dévoilant à l’est les positions allemandes, à l’ouest celles des alliés.

Vue sur les hauteurs des Eparges et de Combres.

Prise de la nouvelle barricade près de Saulx, sur la route près de Ratentout.

Guerre 14-18, JMO du 147eRI, Eparges
Dessin extrait du JMO du 147e RI
http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/jmo/img-viewer/26_N_695_011/viewer.html

L’intérêt d’occuper l’endroit reste donc primordial et l’enjeu a pris forme sous le nom de « point X » : position la plus avancée à l’Est. Maurice Genevoix, sous-lieutenant au 106e RI relate cet épisode de combat dans son célèbre témoignage : « Ceux de 14 ». Il a pris part à la bataille des Eparges, entre le 17 février 1915 et le 5 avril 1915, bataille remportée par les français. Mais cette victoire est fragile, sans cesse remise en question. La crête mythique est continuellement prise sous le feu croisé des mitrailleuses et canons revolvers, nourri tant du côté allié qu’ennemi. Le lieu est stratégique, presque symbolique d’une guerre fixée dans le siège, ensevelie dans ses tranchées. Relevant une partie du 72e RI, le 147e continuait le travail : attaques de jour, travaux et réparations la nuit, recherche et enterrement des cadavres. Les bombardements « incessants, d’une violence inouïe » pulvérisent les hommes dans les tranchées. Pour les survivants, la fatigue est immense, la tension nerveuse maximale, les conditions éprouvantes. La crête étroite est dénudée, les deux lignes ennemies sont toutes proches l’une de l’autre. Chaque jour apporte son lot de tués, de blessés et de disparus. Le 6 mai se sont 17 soldats qui meurent dont Jean. Ainsi s’achève la vie du « premier soldat du monde » : le soldat Garat.

« Premiers soldats du monde » : devise du régiment.


Sources documentaires

Sources, documents

Sur Internet