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Camou-Cihigue, vue générale

Les registres matricules, disponibles sur le site earchives peuvent nous donner beaucoup d’informations sur nos ancêtres. Chaque soldat commence sa carrière militaire à l’âge de 20 ans dans sa classe d’âge (un soldat né en 1886 fera donc partie de la classe de 1906), et toutes les informations sur chaque soldat sont inscrites sur les registres matricules. Donc à une époque avant l’appareil photo et les cartes d’identités, quelles informations peuvent nous donner les registres matricules et que peuvent-elles nous dire sur l’apparence et le profil de l’homme Gamerear de tous les jours ?

Camou-Cihigue, ou Gamere-Zihiga en basque, est un petit village de la Soule ayant aujourd’hui moins de cent habitants. Pourtant, on compte 136 registres matricules des hommes Gamerears des classes 1878-1921, c’est-à-dire les immatriculés nés entre 1858 et 1901. Il faut prendre en compte un taux élevé d’insoumission (comme dans tout le Pays Basque d’ailleurs) et d’émigration (notamment en Argentine et en Chile selon les registres) qui limitent les informations disponibles sur les soldats absents le jour de leur immatriculation. Ainsi, pas tous les hommes inclus dans ces statistiques furent soldats.

Tout d’abord, les registres matricules nous indiquent les métiers de 124 hommes de Camou-Cihigue, qui nous donne une idée très clair de l’emploi masculin dans le village :

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En généralisant, on obtient :

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Camou-Cihigue se révèle comme étant une société à majorité agricole comme la plupart des petits villages basques de l’époque.

Quant à l’apparence physique, les registres nous relèvent la taille de l’individu concerné et peuvent ainsi nous donner la taille moyenne des hommes de Camou-Cihigue ! 99 tailles sont relevés dans les registres matricules pour les classes de 1878-1921 qui nous donnent la répartition suivante :

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On peut en déduire que la taille moyenne des hommes Gamerears est aux environs de 166,4 cm, soit 1m 66, même si une taille médiane de 1m 65 serait plus adaptée prenant en compte les 1m 55 de Jean Urruty classe de 1894, et la taille extraordinaire, 1m 86, de Pierre Arhancet classe de 1887.

La couleur des cheveux (et des sourcils dans les plus anciens registres) nous est aussi indiquée ; on retrouve la répartition suivante avec les mêmes 99 données :

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Ainsi les cheveux châtains sont la couleur majoritaire des hommes de Camou-Cihigue, avec 7% environ de blonds et aucun roux dans le village.

Ensuite nous est indiqué la couleur des yeux pour de nouveau 99 individus :

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On observe, comme pour la couleur des cheveux, que les yeux châtains sont majoritaires, avec environ un quart des habitants ayant des yeux dits traditionnellement « colorés », c’est-à-dire bleus, verts, gris, etc…

La forme du front nous est aussi indiqué pour 92 des hommes, on obtient :

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Les soldats Gamerear, et ainsi les hommes de Camou-Cihigue ont pour la majorité des fronts ordinaires découvert de cheveux, comme était la mode à l’époque au Pays Basque.

La forme du nez nous est indiqué pour 93 hommes, donnant la répartition suivante :

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La forme de la bouche, indiquée pour 73 hommes nous donne :

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Et la forme du menton, indiquée pour 74 hommes nous donne :

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Finalement, la forme du visage, indiquée pour 92, nous donne :

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À savoir que les caractéristiques physiques sont influencées par la subjectivité des examinateurs étant donné que nous n’avons pas la même échelle pour la longueur du nez ou l’ovalité du menton, ni la même image de ce qui est brun, marron, châtain, châtain-clair, etc…

Seul 5 soldats sont indiqués comme ayant des marques particulières, dont :

-  Une cicatrice à la tête
-  Une cicatrice du côté droit de la tête
-  Une malformation de la lèvre supérieure
-  Un signe à la joue droite
-  Un signe sur la joue gauche

On mesurait également le degré d’instruction sur une échelle de 1 à 5 selon ce schéma :

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Pour 98 hommes Gamerears, on retrouve la répartition suivante :

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La majorité possède une instruction primaire plus développée et 94% des hommes peuvent lire et écrire. Il existe aussi un seul homme de Camou-Cihigue indiqué dans les registres matricules d’instruction degré 5 : un certain Cyprien Oxibar, étudiant ecclésiastique à Jérusalem.

Il est tout de même difficile d’essayer d’en déduire le profil du Gamerear quotidien d’après seulement les statistiques ci-dessus. Les registres matricules offrent aussi une multitude d’informations plus personnelles sur chacun des 137 immatriculés qui furent des êtres-humains ayant chacun leur propre histoire. Pas tous ont vu la guerre, beaucoup sont dispensés, que ça soit pour leur profession (instituteur, étudiant ecclésiastique, etc…), situation familiale (fils de veuve, frère en guerre, etc…), ou condition physique (faiblesse générale, myopie, infantilisme, etc…). Et beaucoup d’autres sont insoumis, devenus émigrés partout dans le monde.

En termes d’exploits de guerre, pour un tout petit village, Camou-Cihigue semble avoir produit plusieurs soldats très respectés. Beaucoup des Gamerears partis à l’immatriculation ont reçu le certificat de bonne conduite, et encore plus ont participé à des campagnes de guerre.
Avant la Grande Guerre, les soldats de Camou-Cihigue ont participé aux campagnes d’Afrique et d’Algérie.
Jean Aguer, classe de 1881, par exemple, a participé à deux campagnes africaines à 1883 et à 1886, ayant reçu le certificat de bonne conduite.
Le plus vieux Gamerear ayant participé aux campagnes de la Grande Guerre est Arnaud Arhancet, né en 1869 et finalement détaché après 4 ans de guerre, comme père de 5 enfants, à l’âge de 48 ans !

Nous ne pouvons pas omettre les sacrifices des Gamerears qui perdirent leur vie en temps de guerre.

Les Morts pour la France

- Etienne Caset, classe de 1911, Croix de Guerre avec Étoile de Bronze : « Mort pour la France le 13 Septembre 1914 au combat des Courdemanges ».

- Pierre Inchauspé, classe de 1913, Croix de Guerre avec Étoile de Bronze : « Médaille militaire à titre posthume par Décret Personnel du 11 Mai 1920 (J.O du 7 Octobre 1920). Excellent conducteur courageux et très dévoué. A été tué à son poste de combat le 20 Août 1914 devant Parpeville ».

Autres décédés non classifiés :

- Arnaud Iribarne, classe de 1903 : « Décédé le 12 Mai 1916 aux tranchées de Douaumont – Tué à l’ennemi ».

- Armand Petit, classe de 1904 : « Décédé le 24-2-19, maladie contractée en service commandé, à l’hôpital complémentaire n°19 Chalons o/ Marne ».

- Jean Pierre Ardoy, classe de 1906 : « Décédé (Suite de maladie le 26 février 1918 à l’hôpital temporaire n°16 à Compiègne) ».

- Jean-Pierre Iribarne, classe de 1909 : « Décédé à l’Hôpital Militaire de Bordeaux le 14 février 1911 pour ’Pneumonie double’ ».

- François Inchauspé, classe de 1915 : « Tué à l’ennemi le 2 juillet 1916 à Dompierre (Somme) ».

Ainsi que l’effort de guerre fourni par les soldats de Camou-Cihigue.

Les médaillés :

- Jean Pierre Achigar, classe de 1896, Médaille Militaire : « Brave soldat courageux et dévoué. Malheureusement blessé le 9 Avril 1916 dans la région de Verdun »

- Pierre Iriart, classe de 1897, Croix de Guerre avec Étoile de Bronze : « Bon soldat ayant toujours accompli son devoir. A été blessé 2 fois ». Même avec une plaie au bras gauche d’un éclat d’obus, il n’a pas été évacué.

- Edouard Cocostéguy, classe de 1907, Croix de Guerre avec Étoile de Bronze, et médaille de la victoire : « Téléphoniste très énergique et très courageux. A toujours assuré la répartition des lignes téléphoniques sous les plus violents bombardements en particulier pendant la période de juin juillet 1917 sur l’Aisne ».

- Arnaud Caset, classe de 1909, Croix de Guerre avec Étoile de Bronze : « Modèle de soldat courageux et dévoué en toute circonstances à donné entière satisfaction à ses chefs. Blessé 2 fois ’Blessé le 26-9-16 au Ravin de l’aiguille (Somme)’ Et du pied gauche ».

- Jean Notary, classe de 1915, Médaille Militaire et Croix de Guerre avec palme : « […]garnie de mitrailleuses, causant le plus grand mal à l’ennemi et entraînant ses tirailleurs par son bel exemple. A été gravement blessé ». La citation est malheureusement moitié couverte.

- Jean Pierre Aguer, classe de 1916, Médaille Militaire et Croix de Guerre : « Étant sentinelle a fait preuve de courage et de sang froid en se défendant à la grenade et en échappant à la fraction ennemie qui essayait pendant un coup de main d’enlever son poste par derrière ». Blessé plusieurs fois.

- Jean Pierre Iriart Sorhondo, classe de 1916, Croix de Guerre avec Étoile de Bronze : « Pour Services Exceptionnels de Guerre rendus au cours des opérations de la Libération de la France ».

- Pierre Hastoy, classe de 1918, Croix de Guerre : « Blessé le 11-6-1918 en exécutant un barrage sous un feu violent de mitrailleuse à Tourcelles par J.O. Plaie cuisse droite- Cité / Régiment n°279 du 9-7-1918 ’Fusilier mitrailleur d’une bravoure exemplaire : le 9-6-1918 à contribué par le tir précis et […]de son arme à résister aux assauts violents et répétés d’un ennemi supérieur en nombre ».

- Jean Hatchondo, classe de 1920, Médaille Coloniale pour ses actions au Maroc.

Il faut aussi mentionner les exploits de Pierre Iriart, classe de 1897, non médaillé : « Basque […] de poilu qui le 4 avril vers 21h15 ayant aperçu deux ombres rampant dans la direction de leur tranchée est sorti […] avec deux camarades. Malgré plusieurs fusées éclairantes, ont collecté un des boches et l’ont ramené prisonnier ».

Le registre matricule de Pierre Oxibar, classe de 1894 est malheureusement couvert par un autre papier qui nous informe que : « les blessures par balle à la main droite et à l’oeil gauche reçues par M. Oxibar le 16 Décembre 1914 à Craonne (Aisne) constituent une blessure de guerre. » Nous ne pouvons savoir en regardant la photo de l’acte, si Pierre Oxibar aurait reçu une médaille.

Une grande quantité de soldats Gamerears furent blessés en temps de guerres, certains sont même pensionnés à cause de troubles physiques issues de la guerre, mais voici une courte liste des Gamerears blessés :

- Jean-Pierre Bordagaray, classe de 1902
- Michel Ardoy, classe de 1905
- Jean Oxibar, classe de 1905
- Pierre Carricaber, classe de 1906
- Jean Hatchondo, classe de 1907
- Pierre Epherre, classe de 1908
- Clément Petit, classe de 1911
- Jean Caset Carricaburu, classe de 1914

Conclusion

Camou-Cihigue, village d’une centaine d’habitants a produit de nombreux braves soldats au cours de son histoire, et les registres matricules nous donnent une bonne idée du profil de l’homme du quotidien dans ce village :

Un laboureur ou cultivateur courageux de 1m 65 aux cheveux et aux yeux châtains, ayant un visage ovale avec front ordinaire, nez et bouche moyens, et menton rond. Ce serait un homme capable de lire et écrire grâce à une instruction plus ou moins développée qui verra sans doute la guerre au moins une fois pendant sa vie, et un éventuel père de famille ayant servi l’armée française avec dévotion.

Chaque Gamerear a pourtant sa propre histoire qui ne peut pas être représentée par un article seul.

Un très grand merci à Danielle Haissaguerre pour avoir généreusement fourni l’indexation des naissances de Camou-Cihigue !


Sources


Auteur : Jean-Max Fawzi (USA)
Projet Babel : http://projetbabel.org/etudes_basques/