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Le 22 décembre 1810, le géomètre M. Salenave et M. Barrau, l’ingénieur vérificateur du Cadastre, terminent sur le terrain leur Plan Parcellaire de la Commune de Berrogain auprès du maire M. Etchecopar.

Au cours de cette étude nous aborderons :

  1. L’évolution de la population des lieux depuis le Moyen-Âge
  2. L’étude onomastique des données Cadastrales
  3. Les conséquences sur les patronymes des lieux.

I. L’habitat médiéval

L’habitat médiéval des lieux est bien connu grâce à l’ouvrage de Jean-Baptiste Orpustan sur Les noms des maisons médiévales. Cette œuvre cite 11 maisons (dont 2 nobles), 7 à Berrogain et 4 à Laruns. Lesquelles peut-on donc retrouver dans le cadastre ?

À Berrogain

Errekalte (1810 Recalt, XIVe lostau derrecalt ), le dialecte souletin transforme par assourdissement le Errekalde de la toponymie basque usuelle à Errekalte, modifié ici par romanisation extrême (ablation de la prothèse err- et coupure du -e final). Cela signifie « côté du ruisseau », correspondant parfaitement à cette maison bornée par le ruisseau recalt du Cadastre.
Etxeberri (1810 Etcheverri, XIVe cazenave), cette « maison neuve » construite à l’extrême sud de Berrogain conserve son nom basque et non pas la romanisation du Censier de Soule relevé par Orpustan.
Etxekapare (1810 Etchecopar, XIVe cazemayor), cette « maison principale » qui donne vue sur l’église paroissiale Saint Thomas du lieu, est une modification souletine de Etxegapare (par assourdissement et fermeture vocalique), désignation fréquente des maisons nobles de la Basse-Navarre, devenant de nos jours Etxekopar avec ablation du -e final.
Goiti (1810 Goyli (sic), XIVe goytie), cette maison « haute, vers le haut » toute proche de l’Etxekapare susdit se trouve en effet élevée au-dessus de tout le village de Berrogain.
Landaztoi (1810 Landestoy, 1810 Moulin Landestoy, XIVe landaztoi); sur une autre hauteur au nord-ouest de Berrogain, se forment ces deux larges édifices sous le nom Landestoy (romanisé par analogie avec le roman « lande ») “lieu de lande, brande” . Le Moulin Landestoy, connu aujourd’hui sous le nom « Moulin de Berrogain », dépendant de cette dernière maison, se trouve bien plus au sud sur le ruisseau recalt.

cadastre berrogain laruns
Extrait du cadastre de Berrogain-Laruns, AD64

Il est difficile de savoir si la maison noble Barretxe notée par Orpustan a réellement disparu ou si elle correspond à la maison Barneche du Cadastre (voir plus loin). En tout cas, il existe deux bâtiments anonymes du Cadastre qui se trouvent sur le chemin entre l’église et la maison Larrasquet (voir plus loin) ; ces derniers peuvent aussi peut-être correspondre aux Beheti et Barretxe (noble) de Berrogain, maisons signalées par Orpustan dans le Censier de Soule.

À Laruns

Abadia (1810 Jauregui, XIVe labadie de laruns), issu du roman abadia « abbaye », le domonyme médiéval se réfère donc à une « maison-église » ou demeure semblable. Le Jauregui du Cadastre se trouve comme attendu, en bas de la colline sur laquelle se pose la chapelle de Laruns, et étant donné le nom jauregi « demeure seigneuriale », nous posons avec certitude l’hypothèse qu’il s’agit de la même maison noble du Censier médiéval.
Zubiri (1810 Cibiri, XIVe lostau de subiry), modifié aujourd’hui peut-être par assimilation vocalique à Zibiri, il s’agit du « domaine du pont », un pont manifestement disparu qui aurait traversé le Saison grâce à un point étroit pour lier Laruns à la commune avoisinante de Viodos. Voit-on toujours aujourd’hui les traces de ce dernier dans les photos aériennes de la commune?
La maison fivatière Goienetxe ou Goietxe de Laruns a aujourd’hui disparu, retrouvant sa dernière attestation dans la Coutume de Soule au XVIe siècle. S’il ne s’agit pas d’une confusion (dans le Censier médiéval) avec la maison noble de Berrogain, le Barretxe de Laruns signalé par Orpustan doit en effet avoir disparu aussi.

Nous en concluons que la grande majorité de l’habitat médiéval de Berrogain-Laruns a perduré depuis Censier de Soule (fin XIVe siècle) jusqu’au Cadastre (début XIXe siècle) avec quelques exceptions de maisons disparues. Si nous prenons comme complète la liste extraite du Censier Gothique de Soule d’une dizaine de maisons uniques, et en supposant un maximum de « 10 âmes par feu » (incluant enfants, parents, et un ou deux grand-parents par maison), on peut supposer une population médiévale qui ne dépasse pas les 100 habitants.

II. L’habitat moderne

Nous tenons comme « moderne » ici tout développement urbain enregistré par le Cadastre Napoléonien qui n’est pas pris en compte par le corpus médiéval. Nous verrons qu’un assez fort taux de nouveaux habitants issus d’une immigration « gasconne » s’illustre par l’apparition de nouveaux domonymes, reportés dans le Cadastre. Le recensement de 1806 (4 ans avant le Cadastre) dénombre une population de 139 habitants dans la commune, reflétée par le nombre de nouveaux domonymes.

II. 1. Nouveaux domonymes basques

Agerre (Aguer), par sa petite taille, cela doit être une borde « en vue, exposée » sur la pente sud-ouest de la hauteur de Berrogain.
Ainzi (Aney (sic)) renvoyant à un « terrain marécageux », la maison Ancy se trouve à ras d’un petit ruisseau anonyme coulant le long des prés (sans doute marécageux) signalés par le Cadastre qui entourent la maison.
Arrokieta (Arroquiet) ce « lieu de l’endroit pierreux » comporte la même étymologie que le village souletin Roquiague ; on y observe toujours les murailles de pierre anciennes bordant le chemin donnant sur la maison.
Barrenetxe (Barneche), s’il ne s’agit pas en effet de l’ancienne maison noble Barretxe de la commune, c’est étymologiquement « la maison la plus intérieure » malgré sa position au Sud de Laruns.
Bidegain (Videguin, Moulin Videguin (sic)) malgré la cacographie du Cadastre, on peut distinguer ce toponyme très fréquent au Pays Basque comme la maison « au-dessus du chemin », ici la Grande Route de Mauleon à Navarrenx (aujourd’hui la route D2) précisée par le Cadastre. L’ancien moulin qui accompagnait la maison est lui aussi devenu maison et son canal asséché est toujours visible grâce aux arbres qui ont poussé le long du cours d’eau.
Bordagarai (Bordegaray) à l’extrême nord-est de la commune, faisant frontière avec Moncayolle, cette « borde de haut » est en effet sur une petite hauteur.
Eiheragarai (Eyheragaray) la silhouette de l’ancienne maison reportée par le Cadastre se note toujours dans l’assemblage de bâtiments adjacent au Lycée Agricole moderne. Cette maison « au haut du moulin » donne vue en effet sur l’ancien Moulin Videguin par le Chemin Bixtaeder des cartes IGN.
Eiheramendi (deux attestations Eyheramendi) ce toponyme dans le Cadastre renvoie à deux bâtiments (difficile de déterminer s’il s’agit de maisons ou de bordes) sur le « mont du moulin ». En effet, les deux édifices surveillent le Moulin Landestoy (actuel « Moulin de Berrogain ») de la colline adjacente.
Espilondo (Espilondo) domonyme qualifié de « difficilement explicable » par Orpustan, on peut supposer que ce toponyme dérive de la maison médiévale fivatière de Chéraute de même nom. La maison fut absorbée par le Lycée Agricole au XXe siècle.
Haizagerre (Aycéguer) cette maison est bien évidemment « exposée au vent », étant la maison à la plus grande hauteur de toute la commune, posée sur la crête dominant Laruns, sans obstacle naturel pour arrêter le vent.
Hegilin (Heguilin) borde aujourd’hui disparue ; si ce n’est une cacographie pour quelque hegilior (maison médiévale de Chéraute dite « botoy ») au sens de « crête ou bord sec », il est difficile de comprendre l’étymologie hors de la racine hegi- « crête » bien illustré par les lieux.
Landaberri (Landaverri) série de deux petites bordes construites pour un « champ neuf »; le Cadastre précise plusieurs parcelles de « Vigne » pour lesquelles ces bordes auraient facilité la cultivation.
Landabizkai (Landebisquey) cette grande maison placée sur une « hauteur de champs » est en effet construite sur un mamelon donnant vue sur la Mairie actuelle de la commune. La fermeture vocalique a > e typique du souletin issue de l’influence romane produit ce changement *Landabizkai > Landabizkei; le début en lande- n’est qu’un calque du roman « lande » (voir Landaztoi > Landestoy).
Larrazketa (Larrasquet) domonyme composé de larra- « lande », -tz suffixe collectif, et -keta suffixe locatif, qui doit correspondre à un « lieu de landes » se trouvant à l’arrière de la maison au nord de Berrogain.
Merkatbide (Marcatbide d’Elichalt) maison de l’autre côté de la rue de la Chapelle de Laruns, elle appartient à quelque Elichalt (d’étymologie « côté de l’église »). Le domonyme fourni par le Cadastre signifie « route du marché », renvoyant à quelque marché communal déjà présent au début du XIXe siècle.
Uhalt (Uhalt) avant la construction de la route actuelle Oillar Khurutchea, cette maison « à côté de l’eau » sur la frontière de Moncayolle était en effet entourée de tout son côté nord-ouest par le ruisseau recalt du Cadastre. Le dialecte souletin fait passer par assourdissement l’Uhalde banal des dialectes avoisinants (ancien *uralde) à Uhalt.
Zabaleta (Çabalet) une maison sur un « lieu de plat » qui bizarrement se trouve sur la pente du mont qui domine Laruns ! Peut-être que l’ancien emplacement de la maison se trouvait sur le plat tout proche, en bas de la pente, borné par le Saison.

L’habitat au nom basque s’est beaucoup développé au cours des siècles, ajoutant 18 nouvelles (mais peut-être reconstruites sur des ruines médiévales) maisons et bordes ayant des toponymes démontrant l »usage de la langue basque sur les lieux. On ajoute à cette liste deux moulins parmi les quatre actifs à l’époque du Cadastre.

II. 2. Nouveaux domonymes non-basques

Bichart (Bichart) patronyme d’origine germanique probable répandu partout en France surtout en Puy-de-Dôme (63) ayant les variantes graphiques Bichard et Bischart (notamment en Bretagne), et dotant ici son nom à une maison au centre de Berrogain.
Croharé (Croharé d’ Berneche) maison disparue située au-dessus de l’église qu’il faut comparer au surnom béarnais crofarer devenu croharé par phonétique locale. C’est un surnom appliqué sans doute à l’ancien propriétaire « qui est d’une confrérie »[1].
Fourcade (Fourcade) borde disparue située entre l’église de Berrogain et le Moulin Landestoy marquant la « fourche » de la Grande Route de Mauleon à Navarrenx avec un chemin anonyme traversant le ruisseau de Recalt pour lier les deux sections Berrogain et Laruns.
Lacroix (Lacroix) toponyme franco-roman au sens propre, il désigne une maison disparue au sud-ouest de Laruns, tout près de Barneche.
Moulin Cabane (Moulin cabanne), au sens propre, c’est un petit moulin disparu, situé au nord de Berrogain près de la frontière sur le ruisseau Recalt.
Vignare (Vignare, Moulin Vignare), la maison au sud de Laruns est accompagnée par son moulin sur le ruisseau Salles, et dont le canal est aujourd’hui asséché. L’étymologie probable est un surnom de « vigneron » dit généralement binher en béarnais , même si le Cadastre ne précise aucune vigne proche.

Une immigration gasconne et française post-médiévale apporte avec elle plusieurs domonymes d’étymologie romane et germanique, témoignant de l’agrandissement de la commune au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Cette croissance est illustrée par les deux moulins aux noms romans au service de la nouvelle productivité agricole de la commune.

II. 3. L’évolution urbaine de la commune depuis le Moyen-Âge

D’une dizaine de maisons à la fin du Moyen-Âge, on passe à un essor urbain de Berrogain-Laruns au cours des siècles suivants, ajoutant à l’habitat médiéval conservé, 17 nouvelles maisons auxquelles s’ajoutent quatre moulins et au moins cinq bordes. Cela veut dire que le nombre de maisons à presque triplé ! Il faut prendre avec prudence notre première estimation de la population à la période médiévale étant donné qu’on l’établit autour des 150 Berrogaintarr en 1810, quand le plan parcellaire que nous étudions fut établi. Cette urbanisation à Berrogain-Laruns comme ailleurs, a nécessairement été accompagnée d’un défrichement progressif des forêts, ceci étant conforté d’une part avec l’usage du toponyme Landaverri (laissant place à « nouveau champ » défriché) et d’autre part grâce aux notes sur les parcelles du Cadastre où les abréviations pour « pâture » sont majoritaires. Environ un quart de la surface de la commune est forestière aujourd’hui.

III. Conséquences patronymiques

L’État Civil contient beaucoup des premières attestations des maisons « nouvelles » post-médiévales, mais nous allons voir que ces noms de maisons décrits ci-dessus sont à l’origine des patronymes les plus fréquents de la commune. La toponymie a ainsi un grand impact sur la généalogie basque !

Les 90 mariages (donc 180 époux) relevés dans l’État Civil de1792 à 1892 étant déjà transcrits et indexés dans la base de données Gen&O, nous allons utiliser ces derniers comme échantillon en ajoutant les trois mariages notés dans les registres paroissiaux.
Quels sont les noms de famille les plus répandus ? Sont-ils tous issus des noms de maisons ?

  1. Ayçaguer – 7 époux et épouses
  2. Aguer – 6 époux et épouses
  3. Chimits – 5 époux et épouses
  4. Bichar – 4 époux et épouses
    Les autres patronymes concernent moins de trois époux ou épouses chacun et reprend aussi les noms de maison du lieu en dehors de noms venus de l’extérieur. Le patronyme le plus fréquent, Ayçaguer, renvoie nettement à l’Aycéguer du Cadastre ; idem pour Aguer et Bichar pour Bichart. Le patronyme Chimits est le seul étranger, venu de Chéraute au début du XIXe siècle.

Informations et attestations supplémentaires issu des registres paroissiaux

Malheureusement, moins d’une vingtaine de pages des registres paroissiaux de Berrogain-Laruns sont aujourd’hui conservées aux archives ; cela rend la généalogie en ces lieux difficile, mais rend aussi presque impossible les recherches pour pouvoir tracer l’histoire des maisons de la commune. L’indexation de ces registres étant faite en conjonction avec ce projet, nous vous donnons une liste des attestations de maisons supplémentaires que nous pouvons en extraire :

  • 1756 mort de jean d’aincy du present lieu et en 1761 Marie héritiere d’ancy du present Lieu
  • 1756 mort de marie d’eyheramendi de ce lieu
  • 1758 noble Jean de Landestoy dud. lieu
  • 1761 la maison de lacroix
  • 1761 mort de marie de landebisquey dite de golard dame proprietereaisse de la maison de landebisquey de ce lieu
  • 1761 la maison de bidegain
  • 1761 la maison despilondo
  • 1765 la maison d’eyheragaray

Auteur : Jean-Max Fawzi (USA), le 7 Mars 2023


Notes

[1] Lespy (1887) | Dictionnaire béarnais ancien et moderne, p. 182.

Bibliographie

Lespy, Vastin & Raymond Paul (1887) Dictionnaire béarnais ancien et moderne
Orpustan, Jean-Baptiste (2000) Le nom des maisons médiévales en Labourd, Basse-Navarre et Soule (revu par l’auteur 2020), disponible en ligne sur tipirena.net