Autrefois, à Domezain, petite paroisse du Pays de Mixe en Basse Navarre, le curé, Jean-Claude Doyhenard, était plus préoccupé par l’état de ses comptes, que par la charge qui lui était officiellement attribuée : celle de consigner soigneusement les actes de baptêmes, mariages et sépultures qu’il avait reçu dans l’église de sa paroisse.
Ratures, sens de lecture : rien ne nous est épargné !
C’est peu dire qu’il n’ait pensé une seconde à nous, généalogistes, tant il n’a guère mis d’application dans son écriture, retournant parfois ses tout petits registres pour profiter du moindre espace libre sur la page, « rédigeant » à l’envers, des notes dont le sujet n’avait rien à voir avec les actes que nous aurions pu espérer (très légitimement) y trouver.
Pour nous pauvres chercheurs à la quête d’ancêtres Domintxaintar , Il ne restait plus qu’à s’atteler au déchiffrage de ces lignes. Abusant tantôt du « zoom », tantôt de la « rotation » (heureusement disponibles dans le visualiseur d’images des AD 64), nous tentâmes, avec beaucoup, vraiment beaucoup de patience, de retrouver nos aïeux perdus au milieu de ce joyeux désordre.
Prenez ici, chers lecteurs, conscience de l’ampleur de la tâche et prenons l’exemple d’une autre page de ce registre aux premières lignes éloquentes.
Après quelques secondes d’une lecture appliquée, nous apprenons en effet qu’ « il y a 17 ans que Marguerite dame d’Elissabide est morte » … il était temps de le signaler ! Mais point de mauvais esprit, poursuivons le décryptage de ces lignes.
Tel l’archéologue grattant la terre centimètres par centimètres pour mettre au jour un fabuleux trésor, ce déchiffrage fastidieux des mots et des phrases, nous amènent à la découverte de formidables moments de vie (enfin … celle du curé surtout) !
En Pays Basque, on mange et bien !
Une bonne nourriture, c’est le gage d’une bonne santé et il ne s’agit pas de se contenter de quelques céréales et d’un bol de soupe ! Non ! Il faut manger de la viande et ça, notre curé le sait bien, lui, qui consigne soigneusement le nombre de bêtes qu’il confie en gasaille aux fermiers des alentours afin que ceux-ci en prennent soin et surtout les fassent engraisser pour son compte. « J’ai mis un cochon entre les mains d’une fille de Salle de Lapiste en l’année 1695 ». « J’ai mis en gasaille une truie pleine estimée quatre livres chez Embeye de Domezain au commencement du mois de décembre 1695 ».
Si nous comptons bien, ce sont 7 cochons que notre curé place entre 1694 et 1695. De quoi tenir un peu !
De la nourriture variée pour notre curé
Mais le cochon ne suffit pas, il faut varier. Entre 1701 et 1704 notre curé prend soin de consigner exactement sa consommation de viande. « Le 23e jour du mois de juin 1704 jai pris 6 livres de chair de vache chez Elissondo, une langue, avec une livre de mouton qui est à payer ».
Et les poules ? Elles ne sont pas oubliées, précieux volatiles, si tendres à cuisiner : la longue liste de leurs (anciens) propriétaires ne cesse de nous renseigner sur les préoccupations quotidiennes des uns et des autres et notre curé de dresser l’état « du nombre de poules que jai reçues depuis le p(remie)r avril 1701″. Parmi elles se glissaient aussi quelques chevreaux, agneaux et autres chapons.
Et puis, n’oublions pas, nous sommes en Pays Basque, alors le jambon c’est sacré et surtout délicieux ! D’autant plus délicieux que l’on se fournit chez des producteurs locaux : « le 20 janvier jai pris 2 jambons chez Sabales pesant 7 livres un quart, le 31 janvier 1703 jai pris un jambon de la locataire de Coussera pesant 3 livres un quart, le 4 février 1703 jai pris une paire de jambon d’alhatz pesant 11 livres et demi… »
Nous restons simplement songeurs face à la fréquence des prises …
Du vin
« jai entamé mon vin le 6e du mois de février 1694« .
Ne gâchons rien : nous nous garderons bien d’ajouter un quelconque commentaire.
Du linge pour se vêtir
La page commençait bien : « Registre des mariages pour l’église St Jean de Domezain« , quoi de plus prometteur ? Ce sentiment d’exaltation (que le généalogiste connait bien quand il tourne la page d’un registre avec l’espoir que peut-être il y trouvera L’acte tant désiré) était d’autant plus fort qu’il était conforté par quelques mots en latin, annonciateurs de bénédictions nuptiales en grand nombre. Que nenni ! Les dits mots n’étaient en effet suivis que d’une description du linge confié à une servante afin qu’elle en fit l’entretien. « Le 16e jour du mois de may 1693 jai mis entre les mains de ma servante 28 serviettes fines, une nape fine et un essuye main 18 linsuls 9 chemises 8 calçons 13 chemises 9 chemises de (?) 18 linsuls grossiers 12 essuye mains grossiers 34 serviettes grossieres 6 napes grossieres« .
De l’argent et une comptabilité bien tenue
Ah l’argent ! Le nerf de la guerre me direz-vous ! Peut-être… encore faut-il être doté d’un peu de bon sens parce que tenir sa comptabilité exige un sens certain de la continuité dans les idées et de la rigueur.
La dîme, ancien impôt de l’Ancien régime : chaque année les propriétaires cultivateurs devaient une part prélevée sur leurs récoltes au curé. En ces temps difficiles où l’argent en espèces ne courrait pas les rues, tout moyen de paiement était de toute façon bon à prendre. D’Oyhenard tenait ainsi une liste à jour de ceux qui lui versaient la premice pour la pomme. Mais il prêtait aussi de l’argent et veillait, surtout, à se faire rembourser au terme du délai imparti.
« Le 11e 9bre jai prêté un louis dor de 15$ a Aphat de berraute sous promesse de me le rendre a la noel prochaine. payé«
Les bons comptes font les bons amis
« Jai reçu une paire de jambon pesans huit livres un quart d’arnaud daguerre de domezain estant moins de ce quil me doit soit pour des arrerages des messes que pour la somme que je luy ay rendu a celle quil me doit pour la premice de trois annees de remises
A domezain le 20e janvier 1700« .
Du personnel à entretenir
Une servante, un valet, juste un peu de personnel … afin de pouvoir se consacrer à sa mission, religieuse : notre curé devait pouvoir se départir de quelques charges.
« Pour mon valet Joannes de Borda
le premier janvier 1706 jai fait mes comtes avec J. de borda mon valet et apres avoir finallement examiné toutes choses nous nous somes trouves quites de toutes les soldes du passé et convenus ensemble qu’a lavenir le terme de son année commençoit d’aujourdhui le quinze et quil finiroit en pareil jour de lannee 1707 et que je lui payerois la somme de 21 livres pour la solde de lad. année deus chemises et les autres choses accoutumees, nous avons fait cette convention en presence de Mr daguerre ptreprêtre et de jacques de dehernaberry qui ont cy signe avec moy ce que n’a fait led. valet pour ne scavoir ecrire. » et pour sceller cet accord de payer Carricaburu « en décharge de Joannes mon valet pour lui avoir semelé une paire de souliers » ou encore de rembourser à sa place « pour le dommage « qu’il avait « causé faisant sauter la corne d’un de ses boeufs au mois de juillet 1706 ».
De la cire pour s’éclairer
Rédiger les actes, certes ! Encore fallait-il y voir ! Et c’est donc à la lueur de la chandelle, au terme d’une journée bien remplie, que le curé pouvait enfin prendre le temps d’écrire, pour mémoire, ce dont il serait bon de se rappeler un peu plus tard (dont accessoirement quelques actes). Une comptabilité extrêmement précise de la quantité de cire est donc tenue, révélatrice de l’importance du produit. « L’état de la cire pour l’année 1689 » en est un exemple, précisant la quantité prélevée et le nombre de jour pendant lesquels elle dura « premierement trois livres un quart de pris le 2 fevr jusque a l’huit du même mois« .
« Le 12e nobre 1701 jai commencé a bruler 18$ de chandelles de suifs que jai acheté le 10e du meme mois« .
La morale de l’histoire
Si j’ai surpris quelques sourires à la lecture de ces quelques lignes, le curé D’Oyhenard ne pouvait imaginer un seul instant qu’il ferait notre plaisir en les écrivant. Pour lui, ce n’était que pragmatisme et bon sens en ces rudes journées de cette fin du XVIIème siècle. Le papier était cher et l’on ne pouvait se permettre à la campagne de surcroît, d’en gâcher la moindre parcelle. Et pourtant, quelle belle tranche de vie nous est offerte là ! Au détour des archives, ce sont des pans entiers de l’histoire de France qui nous sont ainsi dévoilés, cette histoire que nos ancêtres créaient jour après jour et que les archivistes conservent soigneusement pour que nous chercheurs et généalogistes puissions les découvrir et les faire vivre à nouveau en les portant à la connaissance de tous.